Cuba, le mot
pendant la période spéciale
par Armando Añel Guerrero, Groupe de Travail Decoro
LA HAVANE, mai A la question d'une journaliste, le commandant en chef
répondit emphatiquement : "La période spéciale durera
100 ans, en fin de comptes, ce n'est pas la faute de Cuba, mais du monde, où
nous ne sommes pas encore immergés.".
"100 ans ?" Oh ! Par la faute du reste du monde ?", aurait pu
avoir insisté l'intéressée avec le meilleur de ses
sourires. Mais elle ne l'a pas fait, elle n'a pas osé, elle n'a pas eu
vraiment envie d'oser. Il s'agissait réellement d'une journaliste, pas du
tout d'une "gusana", scorie, apatride, rieuse, rongeuse,
annexionniste, déviationniste, mercenaire, contre-révolutionnaire,
archétype, lèche-bottes, agent de la CIA, de l'impérialisme,
de la réaction. Il s'agissait d'une « révolutionnaire ».
Le mot absout ? Le mot condamne ? Aujourd'hui les mots n'ont pas de sens, ou
pour dire mieux, les mots n'arrivent pas à trouver leur place, et pour
cette raison plus que de nommer les choses, ils les vident de leur signification
intime. Un pigeon peut s'appeler scorpion, un vautour arriver à la catégorie
de papillon. La période spéciale durera 100 ans, et la faute en
sera toujours l'autre, l'autre, l'autre
Mais qui est l'autre ?
Déjà dans son discours du premier mai 1971, Fidel Castro nous
clarifiait : "Ces sociétés décadentes, pourries et
vermoulues jusqu'à la moelle des os par ses propres contradictions (il se
referait à cette époque à l'Europe capitaliste) qui ne
dureront pas longtemps". Maintenant, malgré cela, nos dirigeants
principaux rendent visite à ces sociétés agonisantes afin
qu'elles investissent aussitôt que possible dans l'île, dans cette même
île où, comme déclarait le président des conseils de
l'Etat et des Ministres il y a presque trois décades" dans les
prochains 15, 20, 15 ou 30 ans, on pourra voir les meilleurs fruits dans
l'ordre matériel". Curieux tour pendable de l'histoire, ou du mot.
Période spéciale, période spéciale. A cuba, le
refrain acquiert des connotations singulièrement parodiques. A Cuba le révolutionnaire
est celui qui est du coté de l'immobilisme et de l'état des choses
en place ; contre révolutionnaire est celui qui désire un
changement, une transition, une révolution ; apatride celui qui aspire à
relever l'île sur les ruines de son histoire récente; patriote
celui qui enterre le corps de la nation sous les ruines d'une idéologie
qui a perdu son prestige. Le mot lui-même "Cuba" a été
la victime de la manipulation de l'état. Pour cette raison lorsque je dis
"à Cuba, le refrain.." ou "à Cuba, révolutionnaire
",
on ne sait pas si je parle de l'île ou du parti qui la gouverne. Notre période
spéciale est avant tout linguistique. Le mot nous trahit, puisqu'on nous
refuse d'utiliser les mots.
Traduction: Genevieve Tejera
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